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La conciliation travail-famille :
du besoin et de la responsabilité

Par : Éric Gosselin, Ph.D. et Jean-François Tremblay, Ph.D. Professeurs au Département de relations industrielles Université du Québec en Outaouais

Force est de constater que les problématiques entourant l’équilibre travail-famille sont, encore en 2009, au cœur des grands enjeux sociétaux. Notamment associées à une pléiade de paradoxes individuels, organisationnels et sociaux, les difficultés des personnes à conjuguer leurs divers rôles deviennent ainsi une préoccupation commune afin de maintenir et favoriser le développement socio-économique et individuel. Par-delà les impératifs personnels, la place qu’a prise la conciliation travail-famille dans le débat public fait en sorte de multiplier les points de vue.

Des solutions contradictoires engendrées par le très grand nombre d’acteurs sociaux concernés

Ainsi, nombre d’acteurs sociaux sont interpellés afin d’identifier les irritants et de proposer des alternatives novatrices permettant d’harmoniser la distribution des temps sociaux. Le sujet s’inscrit maintenant dans l’agenda de l’État, des syndicats, des organisations et bien sûr, et de façon beaucoup plus urgente et pragmatique, dans l’agenda des parents. Malgré les discours, les réflexions et les pistes proposées, on observe un enlisement du sujet issu du caractère désordonné, voire contradictoire, des prescriptions émises. Alors que le gouvernement du Québec annonce un programme de soutien financier aux milieux de travail afin de favoriser l’émergence de pratiques de conciliation et qu’il réitère son engagement à maintenir le tarif des services de garde, on tarde néanmoins à identifier une vision sociétale claire à ce sujet.

Cette polyphonie des points de vue tire principalement son origine de la difficulté à départager les responsabilités incombant à chacune des parties impliquées. Chacun des acteurs sociaux structurant, à partir d’une analyse partiale, un argumentaire faisant souvent fi de sa propre responsabilité et externalisant tant les causes que les palliatifs. Dès lors, les individus critiquent les politiques organisationnelles; les organisations questionnent les programmes étatiques; l’État évoque le manque de ressources, et cætera et ad nauseam. Afin de faire avancer le débat, il nous semble impérieux de départager les responsabilités devant être assumées par chacun. Cet effort permettra de circonscrire le rayon d’action propre aux intervenants et ainsi de délimiter l’efficacité relative des moyens concrètement disponibles afin d’articuler une interface travail-famille équilibrée.

L’importance de l’autonomisation

D’entrée de jeu, il importe de reconnaître que le maître d’œuvre premier de l’arrimage des domaines d’activités dans la vie est l’individu lui-même. Chacun des choix individuels, dont celui de fonder une famille, sont l’expression directe d’un ensemble de valeurs personnelles qui agissent comme attracteurs décisionnels. Aucun incitatif étatique, aucun avantage organisationnel ou toute autre forme de renforcement social ne peut à lui seul asseoir la décision de devenir parent. Les agents externes ne peuvent, dans cette perspective, que limiter les irritants perçus par les individus afin de favoriser leur émancipation parentale.

Il convient donc de reconnaître que le premier responsable de l’équilibre dans sa vie est l’individu et que c’est à lui qu’incombe initialement le fardeau d’aménager sa vie afin d’épouser les divers rôles qu’il décide d’embrasser. Le temps étant une ressource à sa face même limitée, il importe que chacun puisse prendre conscience que toute intensification de son implication dans l’un de ses domaines de vie, aussi justifiée et gratifiante soit-elle, ne pourra se faire qu’au détriment de ses autres sphères d’activité. Des choix, parfois difficiles, voire même déchirants, se doivent donc d’être faits a priori en sachant très bien que la maximisation du développement personnel en regard d’un certain idéal de vie propre à chacun est possible, mais qu’il est utopique de chercher à optimiser simultanément nos divers rôles sociaux. Conjuguer accomplissement professionnel et réalisation parentale est certes envisageable mais, il serait illusoire de penser avoir la même carrière ou le même engagement parental que d’autres qui n’auraient pas à départager leurs ressources entre ces deux rôles. Dès lors, il devient aisé de reconnaître que le devoir des institutions sociales (exemple : État, entreprises, syndicats) est alors de promouvoir des modes d’aménagement alternatifs permettant de rencontrer les préoccupations des individus sans chercher à résoudre la quadrature du cercle.

Distribution des responsabilités :
le rôle de l’État, des entreprises et des syndicats

À cet égard, l’État, via sa politique familiale et ses divers programmes destinés à promouvoir une meilleure conciliation travail-famille, devrait se limiter à outiller équitablement les individus afin de leur permettre d’avoir accès à un créneau d’équilibre travail-famille. Il ne s’agit pas d’offrir indistinctement, voire universellement, une palette de mesures tous azimuts, mais bien de mettre à la disposition des personnes professionnellement moins nanties des arrangements particuliers afin de créer une zone de réconciliation, ce qui leur fait souvent défaut, des fonctions professionnelles et parentales. Le rôle de l’État se devrait donc de favoriser la natalité en supportant principalement les couples ne disposant que de peu de ressources palliatives ou ayant des ressources économiques limitées.

Les entreprises devraient, quant à elles, concentrer leurs efforts sur le maintien et la promotion de la santé au travail, jalon corolaire de l’équilibre dans la vie. Il est temps, afin de se distancer de l’ère taylorienne, de reconsidérer le travailleur dans une perspective holistique et de cesser de le fragmenter outrageusement en limitant l’intervention organisationnelle au strict rôle de travailleur. Le bien-être psychologique de l’individu, et donc du travailleur, passe inévitablement par un recadrage de son développement intégral dans l’ensemble de ses activités où l’entreprise a la responsabilité d’arrimer son rôle professionnel aux divers impératifs personnels.

Il ne s’agit pas pour l’entreprise de s’immiscer dans la vie personnelle de ses employés, mais plutôt de tenir compte, via ses politiques et pratiques de gestion, de la nature hétérogène des aléas sous-jacents à l’équilibre psychologique. Cela leur permettra, entre autres, de s’assurer de la disponibilité et de l’efficacité de leur personnel afin de maintenir la compétitivité si chère à leur rentabilité. De plus, une plus grande attention à la gestion de la carrière des personnes pourrait également favoriser le développement professionnel et réciproquement, la rétention des travailleurs.

Finalement, l’institution syndicale doit forcer, par son implication active, une réflexion collective sur l’aménagement des temps sociaux. Dans la poursuite de son obligation d’éducation sociale, les syndicats doivent sensibiliser leurs membres, ainsi que l’ensemble des travailleurs, à l’incompatibilité structurelle du cumul de certaines aspirations. Dans cette même foulée, et de façon plus pragmatique, les syndicats doivent répéter leurs revendications en matière d’aménagement du travail en proposant des alternatives novatrices allant au-delà des modes traditionnels (exemple : télétravail, horaire comprimé, horaire flexible) qui, force est de le constater, n’ont que des effets limités sur la conciliation travail-famille. De plus, elle doit continuer à se questionner quant à une utilisation novatrice de la règle d’ancienneté afin que tous, tant les nouveaux que les plus anciens, puissent réconcilier leur développement professionnel et personnel. Somme toute, l’intervention syndicale se doit d’être axée vers l’avenir, mais aussi vers le présent. Elle doit chercher à minimiser les effets secondaires actuellement associés au conflit travail-famille et à travailler en partenariat avec les employeurs afin d’innover dans les règles de travail pour doter les conventions collectives de dispositifs répondants aux problématiques d’aujourd’hui.

Cette distribution des responsabilités en matière d’équilibre travail-famille met en relief le caractère instrumental de l’intervention des acteurs socio-institutionnels. Il serait vain de chercher chez ces acteurs périphériques des initiatives qui permettraient, à court terme, de modifier substantivement l’état actuel des choses. Il faut plutôt considérer que les actions des agents sociaux n’ont, et ne peuvent avoir d’autres fins, que de limiter les effets pervers d’une situation mettant en rupture la carrière et la parentalité.

Bien évidemment, loin de nous la prétention d’exposer et de circonscrire en quelques lignes la complexité plurielle du phénomène sous-jacent au conflit travail-famille. Néanmoins, il convient, afin de recentrer les discussions, de reconnaître que la conciliation travail-famille est, à sa face même, une responsabilité partagée; l’individu ayant le premier rôle et les autres intervenants n’ayant que des rôles de soutien. À cet effet, il faut convenir que les demandes provenant de certains groupes sont paradoxales. Retenons donc que certaines personnes ont des aspirations de carrière ou de développement social qui semblent incompatibles avec leurs responsabilités familiales. Par contre, d’aucuns choisissent délibérément et volontairement la famille au détriment de leur carrière. Tout cela est donc de l’ordre du choix individuel, le rôle des institutions sociales en cette matière étant simplement d’offrir la possibilité élémentaire de faire un choix.

 

 

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